Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, lors du débat du CRJ sur l’accès des personnes présentant des incapacités mentales à la justice: ”La Roumanie a besoin d’introduire le Mécanisme National de Prévention”

La Roumanie doit accélérer l’introduction du Mécanisme National de Prévention, a attiré l’attention le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, présent, le 1er avril 2014, au débat sur l’accès à la justice et le respect des droits des enfants et des jeunes institutionnalisés présentant des incapacités mentales, organisée par le Centre de Ressources Juridiques.

« Je tiens à réitérer ma conviction selon laquelle la Roumanie a besoin d’introduire le Mécanisme National de Prévention, qui doit être initié et financé par les autorités, mais mis en œuvre en tant qu’organisme indépendant, qui mène au respect du Protocol facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et qui veille au respect de la Convention relative aux droits des personnes handicapées », a déclaré le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muižnieks.

Cette affirmation a été faite lors du lancement, par le Centre de Ressources Juridiques (CRJ), de la synthèse des observations faites pendant les visites de contrôle effectuées dans 30 centres résidentiels qui abritent des personnes – enfants et jeunes – présentant des incapacités mentales. Ces visites ont mis en évidence toute une série de violations graves des droits des personnes enfermées dans de pareilles institutions, allant de la torture, traitements inhumains et dégradants, restriction de l’accès à la justice, le non-traitement des plaintes formulées par les personnes enfermées, jusqu’à l’absence d’enquêtes dans les cas de décès, l’accès limité et, parfois, inexistant, à la réhabilitation sociale et soins médicaux dans la communauté.

À la suite des irrégularités constatées, le CRJ a introduit trois plaintes pénales. Tous ces problèmes ont été présentés au Commissaire par les experts du CRJ.

« Une des plus difficiles visites a été celle au Centre pour les jeunes et les personnes âgées d’Aldeni, Buzău. Ici, plus de 100 bénéficiaires étaient monitorisés par 5 employés, le personnel était beaucoup en dessous du nécessaire, les patients étaient sous sédatifs. Neuf personnes dans trois lits, fermées à clé dans une chambre, sous sédatifs, pouvant à peine respirer. On a trouvé six personnes dans trois lits, sous sédatifs, attachées au lit par les mains et les pieds avec une ficelle. La Convention de l’ONU en régit les standards, mais ils sont très souvent violés en Roumanie. Nous avons eu le courage de dénoncer ce qu’on avait trouvé à Aldeni. Bien qu’on parle de torture, il a fallu un mois et demi au procureur pour initier les poursuites pénales dans cette affaire. Il ne s’est même pas rendu au Centre, envoyant seulement un officier de police à mandat limité sans pouvoir entendre toutes les personnes impliquées. Voilà pourquoi nous nous posons des questions sur le degré d’accès réel de ces personnes à la justice », a raconté pendant le débat Silvia Tăbuşcă, expert CRJ en surveillance et professeur universitaire.

« Je regrette la situation présentée par votre collègue, liée à la réaction tardive du procureur dans le cas d’Aldeni. Je suis personnellement impliqué dans les trois plaintes pénales introduites par le CRJ. Je pense que nous devons devenir les avocats de ces enfants. Je vous assure que le Ministère Public octroie une attention particulière aux cas visant des personnes handicapées, mais nous nous trouvons devant un nombre très élevé de dossiers, à peu près deux millions de dossiers par an », a ajouté Bogdan Licu, Premier-adjoint du Procureur Général de la Roumanie.

« Je voudrais attirer votre attention sur la manière dans laquelle ces enfants arrivent dans des institutions pour les personnes handicapées. Dans le Centre de Băbeni, Vâlcea, par exemple, un jeune homme avait été transféré d’un centre d’accueil à un centre pour les personnes présentant des incapacités mentales, suite à un conflit, comme mesure punitive. La plupart des enfants de ce centre ne devraient pas être encadrés dans une école spéciale. Un autre cas : on a dit à une jeune femme qu’on devait la transférer dans un centre pour les jeunes présentant des incapacités mentales sans avoir la possibilité de contester cela et quoiqu’elle dût avoir ce droit. On l’a transférée, un soir. À l’Hôpital de Psychiatrie Voila, Câmpina, une petite fille de 7 ans n’avait pas de handicap, seulement un besoin social. La petite fille nous a raconté qu’elle était arrivée là-bas après un conflit avec une de ses profs qui lui avait dit d’aller apprendre à l’école spéciale de l’hôpital, où se trouvait aussi sa sœur. Le problème est la manière dont ils arrivent dans ces centres et l’impossibilité de contester cette action », nous a ditHoraţiu Rusu, expert CRJ en surveillance et professeur universitaire.

Elena Tudor, directrice de la Direction pour la Protection des droits de l’enfant du Ministère du Travail, de la Famille, de la Protection Sociale et des Personnes âgées, a montré, lors du débat, que « les situations présentées par le CRJ sont regrettables ». « Quant au transfert des enfants, la législation est claire, c’est l’instance qui décide. Quoiqu’il y ait une législation conforme aux exigences, il y a toujours la possibilité d’améliorer les choses et nous avons toujours été ouverts à toute proposition. Il s’agit d’un problème visant la mise en œuvre de la législation », a déclaré Elena Tudor, tout en rappelant que, à partir de cette année, l’Autorité pour les droits de l’enfant, qui est en cours d’établissement, inclura une structure de contrôle du respect des droits de l’enfant.

« J’espère que cette institution sera dirigée par une personne spécialisée en droits de l’enfant. La création d’une pareille institution est une bonne nouvelle, mais il est important que les institutions en tant que telles fonctionnent comme il faut », a ajouté le Commissaire aux droits de l’homme, Nils Muižnieks.

Dans le contexte des violations des droits des personnes présentant des incapacités mentales identifiées par le CRJ, le Commissaire a souligné l’importance des organisations non gouvernementales dans la sauvegarde des droits des personnes handicapées institutionnalisées, tout en rappelant le cas CRJ au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, pendant devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme.

« Si les ONG ne peuvent pas défendre en justice les personnes enfermées dans diverses institutions, des abus peuvent être commis à tout instant. L’accès de ces personnes à la justice est très important, raison pour laquelle j’ai voulu intervenir au nom d’un tiers dans le procès du CRJ au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie, devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Il faut éliminer toutes les barrières liées à l’accès à la justice et nous espérons obtenir un résultat positif devant la Grande Chambre. Je tiens à féliciter le CRJ pour l’affaire Valentin Câmpeanu. Vous êtes de vrais avocats de la dignité humaine », a affirmé le Commissaire.

Le débat du CRJ a été aussi une opportunité pour les collègues d’autres ONG de présenter les problèmes auxquels sont confrontées les personnes présentant des incapacités mentales et leurs familles.

Voilà quelques déclarations faites pendant ce débat :

« Nous fermons les centres d’accueil, mais la plupart des jeunes qu’on sort de ces centres restent sous la protection et à la charge de l’État même après l’âge de 18 ans. Par exemple : un jeune homme de 16 ans entre dans un foyer de type familial, mais, à l’âge de 18 ans, à cause de la séparation budgétaire – budgets différents destinés aux enfants et aux adultes, dans des institutions différentes – il doit quitter le foyer de type familial et être accueilli dans un centre classique. Il faut mettre une fin à cette pratique. Un autre problème est lié au blocage des embauches depuis 2009. Cela a mené à un déficit de 14 000 employés dans le système de la protection des enfants et des personnes handicapées, qui résulte dans un manque de protection et de soins, dans le contact direct avec les jeunes et les enfants », a affirmé Ştefan Dărăbuş, directeur général de Hope and Homes Roumanie.

« En ce qui concerne le système de plaintes, nous avons simplifié les choses : les gens sont libres de dire ce qu’ils pensent, s’il n’y a pas de mécontentement alors nous avons un problème. Les personnes que nous avons sorties de ces institutions peuvent toujours exprimer leur opinion. Mais aucun d’entre eux sait écrire et lire. Et donc à quoi sert-il d’avoir un cahier de réclamations ? Si nous n’envisageons pas les personnes handicapées dans le contexte de leurs droits, toute démarche est inutile », a déclaré Cerasela Predescu, directrice générale, Pro ACT Suport.

« La discrimination au travail continue à exister pour les personnes présentant des incapacités mentales. En Roumanie, les spécialistes dictent toujours ce qui convient au bénéficiaire, qui n’est point consulté ou impliqué dans la décision visant sa récupération », a dit Amedeea Enache, directrice exécutive de la Fondation Estuar.

« Il y a des familles à la campagne, avec beaucoup d’enfants, dont un ou deux sont handicapés. Les parents les élèvent jusqu’à l’âge de 6-7 ans, ensuite, suivant le conseil des Directions pour la protection des enfants, ils les enferment dans des institutions, les enfants étant ensuite transférés d’un centre à l’autre jusqu’à ne plus connaître leur sort », a déclaré Mădălina Turza, Présidente du Centre Européen pour les droits des enfants handicapés.

« Je demande aux écoles seulement ce que la loi prévoit, mais l’école réagit seulement en me reprochant de réclamer trop. Je demande à être impliquée dans le plan de récupération, mais on me refuse cette demande constamment. On me dit que je n’ai pas le droit de me prononcer sur ce qui se passe. Il n’y a pas de mécanisme pour que les parents expriment leur opinion. La seule alternative est de traduire le Ministère de l’Éducation en justice. Ça fait 10 ans que je m’efforce d’exprimer mon opinion. Le seul coupable a été mon enfant pour ne pas avoir la capacité de s’élever au niveau des exigences du programme scolaire », a raconté Liuba Iacoblev, Présidente de l’Association Autisme Roumanie.

NOTES :

Pour des détails sur le Mécanisme National de Prévention, les irrégularités constatées par le CRJ lors des visites de contrôle et les plaintes pénales introduites à la suite du constat de violations des droits de l’homme, appuyez ICI et ICI

Pour des détails sur la première affaire apportée devant la Cour européenne des Droits de l’homme en matière de décès des patients, et, en même temps, la première affaire invoquant la question de l’accès à la justice des personnes présentant des incapacités mentales, enfermées dans des institutions et dépourvues de représentant légal, appuyez ICI.

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